Dialogue avec Hervé Manet
20 | 04 | 2015
Dialogue avec Hervé Manet, Directeur du Pôle Promotion chez ICAD
Au Mipim 2015, ICADE a présenté le programme des tours Black Swans à Strasbourg qui se caractérise par sa réversibilité.
Quel est l’objectif de cette innovation ?
Hervé Manet : Icade lance aujourd’hui une démarche « Innovations » avec des partenariats divers au sein d’une pépinière d’entreprises qui accueillera des starts up sur la recherche tous azimuts. Icade est à la fois présent sur les logements, les bureaux, les commerces, les équipements publics de santé et notre objectif est de nous interroger sur les architectures de demain et sur les nouveaux usages. Aujourd’hui, nous pensons que de plus en plus les clients – particuliers ou institutionnels – souhaiterons des espaces « capables » à même de muter selon les besoins, cette démarche se prépare en amont c’est-à-dire dès le départ des opérations.
Jusqu’à présent, ce dispositif de réversion semblait compliqué en raison des normes de sécurité qui ne sont pas les mêmes pour le logement et le tertiaire. Va-t-on vers un changement ? Effectivement, le PLU n’autorise pas la réversibilité aussi bien dans le bureau que dans le logement, mais ce volet réglementaire peut se traiter et évoluer, tout comme l’accessibilité des pompiers qui oblige à fixer la hauteur des immeubles de bureaux à 28 mètres et celle des logements à 50 mètres.Nous avons bien étudié le sujet, et nous pensons qu’économiquement, la réversibilité est possible sur des bureaux transformables en logements et uniquement dans ce sens.
Autrement dit, si nous avions un bâtiment de logements de 50 mètres, il pourrait être réversible en bureaux jusqu’à une hauteur de 28 mètres ? Nous avons bien étudié le sujet, et nous pensons qu’économiquement, la réversibilité est possible sur des bureaux transformables en logements et uniquement dans ce sens. Du moins pour le moment. Il y aura toujours des besoins de logements, donc un marché potentiel, en outre, la politique des villes s’inscrit désormais dans la densité et il n’est plus question de grignoter toujours plus de territoire. Par ailleurs, nous entrevoyons une consommation moindre de l’espace bureaux du fait même que le tertiaire évoluera avec les nouvelles manières de travailler, les nouveaux usages tels que le co-working, le télétravail, les fablab. Il y a aujourd’hui beaucoup de projections sur ce secteur et chacun réfléchit à la notion de bureau individuel ou de bureau partagé. Chez Icade, nous allons nous limiter à la réversibilité « bureaux-logements » et c’est en cela que l’on a poursuivit cette démarche avec l’architecte Anne Démians.
Quel est l’investisseur des Black Swans à Strasbourg ? Nous avons pris un investisseur « ami », EDF qui est très intéressé par cette innovation, elle permet des investissements pérennes. EDF a une vocation nationale et implante ses bureaux dans de nombreuses villes mais cette grande entreprise est soumise à des arbitrages d’organisation qui vont l’obliger à un moment donné de libérer des bureaux qui ne trouveront pas forcément d’autres occupants sur le marché. Et c’est la pire des choses que de porter des bureaux vides qui risquent de n’être plus adaptables. Or, la réversibilité est l’assurance que moyennant une programmation déterminée, dès l’origine, un immeuble peut se positionner sur le marché du logement, donc sur une valeur économique. Après, chaque investisseur fait comme bon lui semble : ou il décide de vendre à la découpe et il récupère le produit de la vente pour le réinvestir ; ou il considère que son intérêt est d’avoir du rendement par l’exploitation et la gestion des logements.
Comment la mutation des espaces s’opérera-t-elle ? Dès la conception, le bâtiment est conçu pour être réversible, c’est-à-dire que chaque niveau est étudié de manière à offrir une répartition de logements entre 2, 3, ou 4 pièces voir des studios, moyennant un coût de transformation. Cette dernière consiste à décaper le plateau et d’apporter une prestation nécessaire à savoir l’innervation électrique, l’installation de la plomberie, la pose de cloisons et la peinture. Cette mise en conformité a été calculée, elle s’élèverait environ à 800 euros par mètre carré. Cette transformation offrirait par ailleurs un confort supplémentaire ; de dalle à dalle la hauteur sous plafond des bureaux est de 3,30mètres, par conséquent les logements bénéficieraient d’un volume supérieur à la norme qui est de 2,50 mètres.
A-t-on encore besoin des architectes pour bâtir des bâtiments réversibles ? En d’autres termes, le risque n’est-il pas de produire une maitrise d’œuvre générique au détriment d’une belle architecture ? La conception touche uniquement le plateau et la structure et ces éléments seront peu différents d’un immeuble l’autre. En revanche, la façade gardera une authenticité et un style propre à chacun des architectes, elle sera fonction des matériaux utilisés et du dessin des balcons, moyennant quoi la qualité de la partition architecturale sera préservée.Anne Démians est restée dans l’équation économique tout en préservant sa signature qui lui est très personnelle.
Comment avez-vous travaillé avec Anne Démians sur le programme Black Swans de Strasbourg ? Ce programme des trois tours a été réalisable parce que nous lui en avons fait la commande. Nous étions face à une situation où la commune de Strasbourg voulait faire des bureaux dans une tour et nous n’étions pas convaincus que le marché local des bureaux trouve des utilisateurs. Afin de ne pas reprendre complètement le projet, nous avons souhaité prévoir dès l’origine une mixité du programme par la réversibilité.
Cette démarche repose sur un bon compromis, c’est-à-dire une équation économique qui n’altère pas la partition architecturale. Comment Anne Démians a-t-elle procédé à vos côtés ? Anne Démians est restée dans l’équation économique tout en préservant sa signature qui lui est très personnelle. En général, elle conçoit des circulations autour d’un bâtiment tertiaire qu’elle habille d’une maille en façade le plus souvent en matériaux ferreux. L’intelligence de ce dispositif permet de transformer les circulations filantes en balcons d’agrément puisque ces ouvertures se prêtent autant aux bureaux qu’à l’habitat domestique.
Comment allez-vous valoriser cette innovation ? C’est une innovation qui est propre à Icade et nous souhaitons la faire aboutir par l’obtention d’un label dans le courant de l’année 2015. C’est un organisme certificateur tel que l’Institut national de la protection industrielle qui l’attribue et à ma connaissance ce serait la première fois qu’il délivrerait un label de ce genre. En matière de recherche et développement, le coût est marginal puisque nous l’avons partagé avec des bureaux d’études et des bureaux de contrôle associés. C’est un coût qui a été induit par une grande opération faisant l’objet d’une expérimentation, mais pour aller voir un investisseur il était impératif de démontrer combien coûtait la réversibilité.
Quelles sont les qualités énergétiques de ce programme ? Ce programme est certifié dans son usage de bureaux, sa certification est donc plus importante que celle dévolue pour l’habitat. Une fois convertis, les logements profiteront de cet avantage.