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L'ARCHITECTURE, UN ART D'ASSEMBLAGE

L’architecture s’affirme davantage aujourd’hui comme un art d’assemblage que comme un art de composition. 

En effet, c’est par l’analyse et la synthèse de données liées à des tas de supports comme l’histoire, le climat, la topographie d’un territoire, la culture régionale, l’économie circulaire ou l’équilibre social d’un contexte, qu’un projet d’architecture avance son véritable ancrage et sa vraie légitimité.

L’acte brut consiste simplement à construire. Puis il bascule, ou non, dans le registre plus sensible de l’architecture quand des assemblages bâtis sur le sens, apparaissent. Car le sens, en architecture, c’est ce qui acte l’acte de création. Quand, par opposition, c’est bien l’absence de sens et de créativité qui finit par reproduire, à l’infini, des modèles uniquement construits sur l’économie de la construction et de la promotion.

UNE METHODE

La méthode que j’emploie pour dessiner un projet, c’est celle qui s’appuie d’abord sur une résolution rationnelle des enjeux, à travers le programme, l’économie et les règles de la construction. Puis, de façon irrationnelle (mais indissociable de la première), celle qui s’appuie sur des espaces qui sont à chaque fois spécifiques et qui naissent de l’imagination.

En quelque sorte, une addition complexe de données sensées et insensées qui restent propre au projet dont j’ajuste l’assemblage en fonction des enjeux politiques et esthétiques. L’architecture, qui reste un art unique d’assemblage, provoque alors, curiosité, respect et émotion.

TROIS REALISATIONS ET DEUX PROJETS

J’ai opté très tôt, pour ce que j’appelle le classicisme moderne, c’est parce que le classicisme garantit à nos bâtiments cette intemporalité dont la période actuelle nous prive.

A titre d’exemple, j’ai choisi trois réalisations (que j’ai récemment livrées) et deux projets (que j’ai dernièrement dessinés) pour consolider mon propos et faire ainsi peut-être mieux comprendre ma façon de penser et de construire mes projets.

Les trois réalisations dont j’ai choisi d’évoquer, ici, la dimension politique, technique, économique ou esthétique de leur architecture, relèvent, toutes les trois, de contextes particuliers, très différents les uns des autres. Ce qui exclue automatiquement un quelconque risque de reconduction entre un de mes projets et un autre. Evacuant ainsi la tentation du style. Elles sont les résultats de réflexions étrangères les unes aux autres et produisent évidemment des architectures différentes mais elles trouvent pourtant des analogies d’une réflexion plus large sur la ville qui se tisse de projet en projet.

Un premier exemple de réalisation

Les DUNES

Pour la réalisation des Dunes, le siège de la Société Générale à Val-de-Fontenay, l’enjeu était double.

Il nous fallait déplacer en une seule fois 5 500 personnes sur le site (pour cela, 100 000m2 étaient nécessaires, construits sur une parcelle de 23 000m2). Puis, intégrer une disposition managériale inédite, et de tout premier plan, pour faciliter l’introduction du numérique sur les plateformes de la banque.

Le système de développement horizontal fut préféré à la disposition verticale des espaces, plus favorable au travail collaboratif. Puis, à la figure classique de la cour carrée, entourée de 4 bâtiments, j’ai substitué celle plus moderne de 3 sillons parallèles, peu profonds et hauts sur leur crête. Cette pièce urbaine est unique. Elle n’a, ni début, ni fin. Par ses alignements, elle traite de la grande échelle en mettant en place un bâtiment paysage qui pallie au déficit d’urbanité du quartier dans lequel il s’insère.

Car, c’est bien de la mise en scène d’une amorce de territoire dont on parle, ici, et pas d’une réalisation totalement achevée et refermée sur elle-même.Cette idée d’un tracé géométrique simple, constitué de parallèles, vient pourtant d’une pensée organique. Le tissu vivant qui l’inspire, c’est celui des Salins de Giraud en Camargue. Un espace naturel (la dune et la plage) qui accueille chaque été des estivants venus avec leurs caravanes, mais aussi des baraquements en tous genres faits de bric et de broc. C’est une organisation urbaine, sauvage et spontanée, agissant en autogestion et qui se compose de deux ou trois alignements parallèles à la mer. Les espaces dégagés sont linéaires, plus ou moins encadrés par les logis de fortune. Et toute la communauté se règle sur ces espaces en long, tracés spontanément et sans hiérarchie entre la mer et la dune. Mais ne s’interdisant jamais cette liberté de franchir transversalement les lignes.

Les Dunes à Val-de-Fontenay s’inspirent de cette efficacité immédiate, sans hiérarchie de constructions, ni d’habitudes d’emplacements. C’est l’antithèse des modèles des années 70, statiques et fermés.

L’analogie avec cette structure sociale modeste et le grand capitalisme qui cherche à humaniser les conditions de travail à travers l’introduction du numérique, est l’occasion pour moi de rapprocher 2 mondes, en réalité, pas si éloignés que cela, quant à leurs aspirations.

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QUEL EST LE VRAI ROLE QUE PEUT EXERCER L’ARCHITECTE DANS LA PRODUCTION D’AUJOURD’HUI ?

 

Un architecte, c’est d’abord l’observateur attentif puis l’assembleur adroit de tous les composants qui concourent, dans un premier temps à un projet d’architecture, puis, dans un second temps, à sa construction et à sa livraison.

Lui seul est capable de mettre, intelligemment, en équilibre l’ensemble des matières qui frappent un projet de construction, sans que l’œuvre ne dissone. Bien que d’autres en revendique le savoir-faire, il est bien l’acteur le plus armé pour engager la seule bonne synthèse possible.  

Il reste un acteur majeur de l’époque dans laquelle il évolue s’il prend ces initiatives ou ces anticipations que lui seul est capable d’énoncer. Il ouvre, alors, auprès des populations ces champs futurs qu’aucune société en défaut d’expression n’est à-même capable d’exiger.

Son premier travail, c’est traduire dans l’espace des énoncés fonctionnels, sociétaux, économiques, esthétiques, écologiques. Cela, dans la grande ou la petite dimension, avec la même attention. Et, parce que c’est dans la nature de son art, et dans la mission de ce qu’il construit, il doit toujours tout faire pour intervenir en priorité dans l’intérêt de tous.

Malheureusement, les productions actuelles, inscrites la plupart du temps dans des nouveaux quartiers, sont trop éparpillées, construites sans la moindre unité de matières ou de formes et sans la moindre intelligence d’assemblages.

Il y a trop souvent affolements, précipitations, agitations ou mauvaises décisions pour que les résultats soient bons. Les architectes sont alors astreints à n’être plus responsables que des choses en vue depuis une réalisation (façades essentiellement). Et ce nouveau rôle, limité à celui de building-designer dans lequel les grands groupes l’enferment, le met gravement en danger. Il s’agit d’urgence d’en sortir.

On peut en sortir en affirmant le rôle indépendant de l’architecte vis-à-vis des groupes constructeurs puis en redonnant à l’architecture la place principale qui était la sienne avant que la commande ne se privatise. Enfin, et de manière plus pragmatique, en soutenant les formes d’un certain classicisme moderne.

Le classicisme, dans la construction puis dans l’architecture, émerge d’une ligne de conduite qui n’est pas forcement contraire avec la notion de modernisme et de créativité. Et si l’architecture se différencie de la construction par cette capacité qu’elle a d’émouvoir à travers une réponse pertinente et impertinente à la fois, alors elle pourra être regardée et exigée.

C’est l’authenticité de la démarche des architectes soucieux de la pérennité des ouvrages et du bon sens qui les structure qui garantit la profondeur et l’intemporalité des constructions. Les questions posées sur le temps, le confort, l’usage, l’esthétique et la valeur foncière de l’ouvrage (directement liée à la qualité de sa construction), deviennent prioritaires sur toutes les autres et leurs réponses installent la durée et le temps comme les données existentielles indispensables à l’authenticité de nos œuvres et de nos villes.

Anne Démians / 2019

Deuxième exemple

Les BLACK SWANS

Un concours d’architecture européen a été lancé, en 2013, par la ville de Strasbourg et Icade. L’enjeu était double : Il s’agissait de construire une surface d’environ 30 000m² pour revitaliser l’ancien site industriel de la presqu’île André Malraux et renforcer l’axe de développement entre Strasbourg et Kiehl.

J’aurais pu, dans un premier réflexe, dessiner des architectures différentes qui auraient répondu très exactement aux différents programmes qu’on nous avait donnés (hôtel, bureaux, logements, résidences-service et commerces). Mais à cette diversité de fonctions, j’ai préféré y répondre par une structure type, unique qui pouvait se dupliquer sur tout le site, tout en ouvrant ses surfaces à des programmes différents.

Les bases d’un assemblage vertical, à la fois flexible et réversible, étaient lancées. Un nouveau modèle de bâtiment voyait le jour et, avec lui, le développement d’une mixité parfaite qui pouvait coloniser tous les espaces des bâtiments. Avec l’assentiment d’Icade, nous avons conjointement déposé le label de ces ouvrages, sous le qualificatif d’immeubles à destination indéterminée (IDI), en 2016. En effet, rien ne prédéterminait les éléments d’élaboration des immeubles. Et encore moins leur destination réelle. La contrainte économique était tenue. Les espaces produits pouvaient, sans supplément de prix, évoluer librement avec le temps. L’architecture, bien que reconsidérée dans son contenu, garderait ainsi toute la cohérence de son apparence d’origine. Car, j’avais pris soin, au préalable, d’installer des dispositifs techniques et esthétiques qui garantissaient l’intégrité des ouvrages. Par exemple, une coursive généralisée sur tout le pourtour de la façade, des circulations verticales et une trame de construction, la même pour les différentes destinations de l’immeuble.

J’avais voulu installer ce projet dans l’équilibre de deux temporalités : celle plus immédiate d’une réalisation installée dans un site et celle, plus longue, des évolutions qu’elle subirait sans remettre en cause l’intégrité de sa construction.

Alors, me direz-vous, pourquoi les Black Swans ?

C’est simplement parce que le site est marqué par la présence de grands bassins sur lesquels glissent très élégamment des cygnes blancs. L’élégance de ces oiseaux, rendus graciles par le port dressé de leur cou sur leur forme massive, m’avait inspirée.

Avec le basculement des cygnes blancs du bassin André Malraux à Strasbourg en cygnes noirs tout droit sortis du film Black Swan d’Aronofsky, je révèle la dimension romantique de cet ancien site industriel et, donc, j’attache plus directement cette réalisation à son site.

Le noir, en effet, leur donnait plus de puissance émotionnelle et esthétique.

Troisième exemple

AUTEUIL

Là, à Auteuil, ou plus précisément au droit de la Place de la Porte d’Auteuil, il s’agit d’autre chose : autre contexte, autre projet. C’est une réalisation qui compte 4 bâtiments voulus comme autonomes par leur construction, mais étroitement liés par leur conception et la personnalité de leurs auteurs.

Je veux parler, ici, de Francis Soler et de Rudy Ricciotti qui avaient la charge de réaliser, chacun, 100 logements sociaux et de Finn Geipel et de moi-même qui avions la charge de réaliser, chacun, une centaine de logements en accession. Le tout avec une extrême densité, sur un site très en vue dans le 16ème arrondissement de Paris, frappé d’alignement sur le boulevard Suchet au titre du PLU.

Travail prospectif, mais pas seulement, Auteuil est un assemblage très savant d’ouvrages disposés dans un parc. Par ailleurs, chacun des bâtiments apparait comme faisant partie d’un tout indissociable, pourtant composé d’architectures et d’écritures qui, bien que différentes, restent, étrangement et matériellement, voisines les unes des autres. 

La raison?

Cette capacité, pour chacun d’entre nous (les architectes) à nous inscrire dans une gamme de matières et d’équipements de façade qui était la même pour nous tous, puis de nous renvoyer une interprétation différente du même catalogue de matières et d’assemblages. Puis de régler paradoxalement par un désalignement de mitoyennetés un problème de densité en proposant, du fait du décalage des bâtiments, les uns par rapport aux autres, plus de surfaces de façade, donc plus de fenêtres et plus d’appartements.

Le résultat ?

Un plan de masse dense et aéré, tracé sur les axes cardinaux, présentant des bâtiments sans vis-à-vis. Et une force d’expression de façade avec le même niveau d’exigence pour le social et le privé. Puis, une alternance de pleins et de vides, entre un bâti et un paysage homogène qui court sur toute la parcelle à travers des cours, des places et un grand espace couvert qui marque le centre géographique et topographique de l’opération.

Architecture ? ou œuvre d’art ?

Monté sur pilotis, l’espace est dominé par un puits noir vertigineux qui s’échappe vers le haut et qui donne à cet endroit où se croisent les axes de l’opération, une dimension matérielle et abstraite du point d’origine de l’opération, et jamais proposée jusque-là, dans une opération de logements.

Ce vide est une transposition des vides et des escaliers monumentaux des Palais et des Hôtels particuliers qui constituaient, à l’époque, le cadre des relations sociales. Les architectes modernes, se sont trop souvent perdus dans des espaces qui ne correspondent plus à rien et qui sont,  de fait, délaissés ou vécus comme superflus.

Cette scénographie de l’espace donne à l’ensemble du vide un effet de mise en abyme qui démultiplie l’espace à l’infini.

Cet espace qui fait totalement corps avec le bâtiment pose en effet la question de la limite entre la position de l’artiste et l’attitude de l’architecte.

Un premier exemple de projet en cours

L’Hôtel DIEU

Nous avons, avec Pierre-Antoine Gatier et Novaxia, été déclarés lauréats, de l’appel d’offres lancés par les Hôpitaux de Paris (AP-HP) par les bons soins de Martin Hirsch, l’actuel Directeur général de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris.

Le projet porte sur l’aménagement de la partie sud de l’Hôtel-Dieu, celle qui s’ouvre sur le Parvis de Notre-Dame, alors que la partie nord hébergera les urgences, ses services actuels et les modernise. Il s’agit de restructurer l’Hôtel-Dieu en renforçant l’accueil pour tous, notamment en installant un institut pour la recherche et l’innovation dans la médecine, tout en ouvrant ce site aux parisiens par l’installation de services.

Compte tenu du contexte historique il s’agit bien de faire bouger les choses sans faire trembler les murs. J’ai donc cherché à équilibrer adroitement la structure historique des bâtiments existants avec un programme chargé de nouvelles destinations, nécessitant de nouvelles configurations d’espaces. Apparaissent alors des assemblages assez inattendus, qui projettent l’Hôtel-Dieu dans une modernité surprenante.

En cours d’étude, j’ai trouvé plus important d’ouvrir la cour qui donnait, à l’ouest, sur la rue de Lutèce plutôt que la façade sud, sur le parvis. Je voulais renforcer l’axe institutionnel qui liait l’Hôtel-Dieu au palais de justice de Paris plutôt qu’ouvrir la façade sud au tourisme de masse, peu concerné par nos espaces. La décision était délicate mais énonçait clairement une préférence pour un projet qui tutoierait le parvis de Notre-Dame sans vraiment s’ouvrir dessus.

Toutefois, l’axe nord-sud (qui prenait naissance sur le parvis et qui se finissait sur l’escalier de la chapelle, placée tout au fond du jardin), resterait l’axe principal de la nouvelle composition. Les espaces végétaux devenaient minéraux, les espaces minéraux devenaient végétaux. J’avais alors le sentiment que le patrimoine pouvait très bien s’accommoder, voire s’enrichir, de la modernité.

Un autre exemple de projet en cours

LA NEF NOTRE DAME

Un évènement tragique devait alors arriver (nous étions mi-avril). Notre-Dame de Paris était en feu. Et la consternation s’abattait sur l’ensemble des peuples européens et américains. Les chrétiens venaient de voir partir en flammes le plus haut lieu représentatif, dans l’histoire, de leur culte.

C’est alors que j’eus l’idée de proposer à Martin Hirsch et à Novaxia d’ébaucher une nef à partir d’une construction de nature provisoire, légère et démontable, qu’on installerait à l’intérieur de l’Hôtel-Dieu, à l’emplacement de son jardin central. Bien sûr, l’espace réquisitionné serait rendu au projet global de restructuration du site, dès l’achèvement des travaux de Notre Dame. 

La nef que j’installe au cœur de l’Hôtel-Dieu permettra d’accueillir les pèlerins. Elle permettra également d’informer sur les travaux de Notre-Dame et de l’Hôtel-Dieu.

L’ouvrage, tel que je l’ai imaginé est un ouvrage qui se monte et se démonte facilement, grâce à une structure légère faite à partir de pièces en bois de lamellé-collé et faciles à assembler.

Ce sont de grands arcs-boutants qui se terminent en partie haute par des embouts qui ressemblent aux chas des aiguilles et dans lesquels se glisse une poutre ronde.

La structure, une fois montée, est recouverte par une façade qui fait aussi office de couverture et qui déroule vers le sol des couches de tuiles en polypropylène, légères et translucides. La coupe du bâtiment m’avait été inspirée par une reproduction de la Vierge à l’Enfant dont j’avais retenu la découpe qu’elle laissait dans le ciel. L’aspect diaphane de la nef, par ces étranges images qui peuplaient nos missels.

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