Interview Anne Démians
22 | 02 | 2016
« Mon projet s’appuie sur la forme, l’orientation, la largeur des fenêtres, le traitement de la façade, la possibilité de faire des courants d’air. La résidence Polyèdres participe à la dimension vertueuse d’une opération urbaine ».
Que traduit le programme Polyèdres situé place de Rungis dans le 13ème arrondissement ?
AD : Ce programme est la suite logique du concours bas carbone initié par EDF que j’ai gagné en 2010 lors de sa première édition. Il s’agissait de concevoir un bâtiment attentif aux émissions d’oxyde de carbone, un objectif majeur en tête des enjeux énoncés par la COP21 puisque le bâti dégage à lui seul 40 % d’émission de gaz à effet de serre. Pour autant, ce concours exigeait que le dispositif bas carbone véhicule une identité architecturale. Ce qui est légitime. Dans toutes les périodes transitoires, comme ce fut le cas aux débuts de la HQE, la qualité architecturale doit accompagner le mouvement.
Quelle est la différence entre un bâtiment BEPOS et un bâtiment bas carbone ?
AD : Le premier, BEPOS, est équipé pour contrôler la dépense énergétique d’un bâtiment de sorte qu’il produit autant d’énergie qu’il en dépense, le surplus pouvant être revendu à EDF. Dans le second cas, le bâtiment est construit de telle façon qu’il ne génère plus d’émission de carbone parce que toutes ses phases de construction ont été améliorées, il en va également ainsi de sa maintenance, et de son recyclage. Un bâtiment Bas Carbone participe à la dimension vertueuse d’une opération urbaine, c’est pourquoi ce principe intégrera la future RT 2020.
Qu’est-ce que le carbone au juste ?
AD : Il y a deux sortes de carbone ; le diamant, c’est-à-dire la forme pure du carbone et son contraire le dioxyde de carbone qui contribue à l’effet de serre dans l’atmosphère. Ma préférence s’est portée, évidemment, vers le caractère positif du carbone pur c’est-à-dire le diamant. Chimiquement et dans sa version solide il a effectivement la forme d’un diamant brut, d’où la forme du bâtiment que j’ai imaginé. Afin qu’il soit vertueux d’un point de vue énergétique, il doit être peu émissif et peu énergivore. Comme ce concours bas carbone EDF se passait à Montpellier, j’avais imaginé un bâtiment peu épais faisant douze mètres de large avec des ouvrants utiles pour favoriser l’aération et le rafraîchissement naturel de l’appartement. En d’autres termes, je poussais les gènes mêmes du bâtiment pour afficher son caractère vertueux par de grandes ouvertures au Sud, des petites au Nord. L’idée ? Réactualiser le bon vieux principe des courants d’air. On cherche souvent midi à quatorze heures, or il faut souvent en revenir aux fondamentaux !
Chimiquement et dans sa version solide il a effectivement la forme d’un diamant brut, d’où la forme du bâtiment que j’ai imaginé.
Le bâtiment s’adapte-t-il sans contraintes au fil des saisons ?
AD : En été, la différence thermique entre les deux façades Nord et Sud est mise à profit par les courants d’air, et en hiver, le principe fait solarium puisqu’il accumule la chaleur. On récupère de l’énergie passive. En outre, j’avais proposé de mettre dans le béton de la dioxine de manganèse qui est 300 fois plus efficace que la photosynthèse produite par les végétaux. Ce principe inventé par un chercheur japonais en 2008 possède la propriété de transformer le dioxyde de carbone en oxygène, autrement dit il le digère. In fine, le bâtiment respire sans polluer. En résumé mon projet s’appuyait donc sur la forme, les courants d’air et la constitution des matériaux.
Où en est cette expérimentation japonaise ?
AD : C’est une expérience qui a été décrite en laboratoire mais qui n’a pas encore été appliquée sur un bâtiment, tout le monde attend qu’une start up développe son brevet de manière industrielle. C’est une mine d’or en vue…
Avez-vous construit ce bâtiment bas carbone à Montpellier ?
AD : Non, le projet est tombé à l’eau, trop compliqué pour la SEM locale à l’époque. En revanche et contre toute attente, le projet a rebondit grâce à Jean-François Gueullette, le Directeur Général de la SEMAPA du 13ème arrondissement, ex-directeur de l’OPAC. Il avait vu ce projet qui l’intéressait et comme dans son arrondissement, place de Rungis, il cherchait à innover il a lancé un concours dans ce sens. Ce n’était pas gagné d’avance, les candidats face à moi étaient d’excellents architectes et le jury comptait des personnalités compétentes et exigeantes, notamment la Maire de Paris, Anne Hidalgo et Olivier de la Roussière, le président de Vinci Immobilier. In fine, j’ai remporté ce concours parce que la dimension environnementale était prépondérante. D’une certaine manière j’avais quelques longueurs d’avance sur le sujet.
Comment avez-vous adapté le projet au territoire parisien ?
AD : La parcelle est triangulaire dans un quartier de la capitale proche du Parc Montsouris qui se caractérise par sa mixité. On y trouve autant d’immeubles que de petits pavillons. Ma proposition décline trois cubes tronqués sur les côtés pour des questions de PLU et d’ombres portées d’un bâtiment sur l’autre. J’ai gardé la morphologie initiale en diamant mais comme nous sommes au Nord de la Loire, le climat n’est pas le même, j’ai donc construit des murs plus épais -20mx20m- avec une isolation par l’extérieur de sorte que l’immeuble a une bonne inertie. De la même façon, je retrouve le système des courants d’air mais différemment puisque les orientations sont Ouest/Est : les appartements ne sont pas traversant en ligne droite mais en angle, reste que le résultat est le même. Les habitants que j’ai interrogés et notamment un couple de chercheurs au CNRS me disent que ce système de courant d’air est hyper efficace, ils savent utiliser passivement leur logement. Ils ouvrent le matin quand il faut et ne ferment pas les volets en hiver pour que le soleil rasant réchauffe l’appartement, c’est une question d’usage. Le dispositif est ultra simple et d’un point de vue énergétique çà marche ! Comme des panneaux photovoltaïques ont été rajoutés sur la toiture, les usagers ont une consommation énergétique très base d’autant que le chauffage est raccordé au réseau urbain.
Comment avez-vous traité le béton ?
AD : Avec de l’Arka. Ce produit permet par photosynthèse de garder le bâtiment propre car toutes les matières organiques qui se posent sur les façades sont en quelque sorte « mangées » par l’action conjuguée de la pluie et du soleil. Ce n’est pas une nouveauté, mais les résultats sont fiables.