Œuvrer à plusieurs ou s’entrechoisir
04 | 09 | 2018
Œuvrer à plusieurs ou s’entrechoisir
« En architecture, faire acte de résistance n’est pas chose facile, tellement les usages, les styles, les certitudes et les credo sont présents ».
En écrivant ces lignes, il y a huit ans, je n’avais pas encore partagé mon travail avec d’autres architectes, venus, pour certains, sur des projets où je les avais invités à m’accompagner ou, pour d’autres, sur des programmes auxquels nous avions décidé de répondre ensemble.
Là encore, la tentation d’innover à plusieurs, comme celle de proposer de nouvelles façons de faire exigeaient invulnérabilité et opiniâtreté.
Se choisir ? L’acte est important, dans le sens où s’il fabrique une appétence à former un attelage temporaire avec d’autres architectes, il faut qu’en même temps l’équipe se tienne prête à rebattre complétement les cartes de la composition d’une ville, comme de ses architectures. Bref, à leur redonner, à plusieurs mains, un futur plus profitable que celui du monde totalement désincarné et disloqué qui nous tourne le dos.
S’entrechoisir ? c’est une bien belle façon, par opposition aux assemblages forcés, de garantir un acte civique, responsable et cohérent, au fond. L’idée de former un collectif, le temps d’un projet et d’un chantier reste une manière d’aborder plus facilement des ensembles plus grands, en n’additionnant que des sources créatives de la même famille, mais pas forcément de même style. L’intelligence d’un projet, au moment où il se fait, puis à terme, est à ce prix-là.
Cette volonté de croiser des idées et des pratiques différentes, mais compatibles entre elles, commence à se manifester à travers quelques productions ou coproductions de quelques maitres d’ouvrage. Elles restent encore trop rares.
Il est, en effet, de plus en plus courant de voir des architectes appelés ou réclamés par des bailleurs sociaux, des promoteurs ou des ensembliers, afin qu’ils répondent ensemble à la construction de masse de logements ou de bureaux. Cette posture se veut bienveillante. Mais elle reste un exercice imposé qui fait naître, à chaque fois, des situations compliquées et complètement stériles qui nuisent autant à l’acte
Etre élu(e), donc, ou s’entrechoisir ?
Avec ce dilemme, le risque est grand de voir les architectes choisis devenir de simples occupants du banc de touche, mis au travail pour jouer les illustrateurs illustres de programmes chichement dotés.
S’entrechoisir ? c’est fournir des contre feux à ces pratiques désordonnées et polluantes de regroupements soi-disant ingénieux. C’est construire des stratégies chargées en énergies qui se distinguent de celles qui activent des tactiques consacrées comme savantes, mais qui ne produiront rien de mieux que ce que nous connaissons déjà, ou pire.
C’est sur deux opérations et un projet récents que j’ai acquis la conviction que laisser les architectes se choisir pour réaliser une opération, reste bien plus efficace que de fabriquer des attelages émérites, sur base de curriculum vitae truqués ou de domaines constructifs spécifiques :
Premièrement, avec Les DUNES (nouveau siège social de la Société Générale à Val-de-Fontenay), réalisation pour laquelle j’ai étendu la compétence de mon équipe d’architectes à celle du designer Christophe Pillet, au graphiste Ruedi Baur et au paysagiste Pascal Cribier, choisis par mes soins et proposés, avec succès, au maitre d’ouvrage.
Ce projet fut, à chaque étape de son élaboration, enrichi par des univers singuliers et personnels, mais complémentaires dans l’objectif à atteindre. Tout portait à croire que nous pourrions garantir une cohérence de langage. L’idée était bien d’arriver à proposer un morceau de ville qui innoverait par sa liberté d’expression, en évitant les codes esthétiques et fonctionnels attachés à ce type de programme. Ce qui fut fait.
Deuxièmement, avec l’opération de la Porte de la Gare d’Auteuil, à Paris, pour Paris/HABITAT, pensée et réalisée avec les architectes Rudy Ricciotti, Finn Geipel et Francis Soler. Un attelage dont les contours étaient déjà construits au moment du concours, sur choix réciproques, et dont les travaux, visibles aujourd’hui, montrent bien comment une conception partagée par plusieurs architectes n’est en rien comparable à des conceptions assemblées de plusieurs architectes.
Les expertises furent additionnées sans que les différents tempéraments en présence ne se heurtent. Bien au contraire, tout fut fait pour que l’exigence soit au rendez-vous et que tous les espaces du projet soient nourris de chacune des expériences présentes, bien qu’obligatoirement soumises à des règles communes (et strictes) de construction.
Troisièmement, enfin, avec une opération de logements, que j’ai choisi de partager avec Jean-Marc Iboq et Myrto Vitart, à Asnières pour le compte d’EIFFAGE Aménageur, au nom d’une diversité d’écriture réclamée par les élus et d’une fragmentation des opérations immobilières qu’on doit à cette stupide manie de tout découper pour rassurer l’observateur en panne d’imagination. Une chance : celle d’avoir pu faire appel à des architectes produisant une architecture d’exception et d’avoir pu imposer, et non sans détermination, cet assemblage.
Là, ce sont aussi nos convictions communes sur la nécessité absolue d’un résultat qui auront permis quelques contre-feux utiles à un projet immobilier qui n’aurait fait que reconduire des modèles dépassés.
En conclusion, nous pouvons avancer, sans grand risque, que l’aventure à plusieurs est certainement une façon des plus pertinentes pour innover en matière d’architecture, car elle facilite la contradiction et produit du bouillonnement. Mais cette innovation, dont on nous rabat les oreilles à tout-va, la veut on seulement ? C’est bien évidemment ceux qui ne payent pas la facture qui en parlent et ceux qui doivent la mettre en œuvre qui s’y refusent.
Alors à quoi tient-elle ? Je serais tentée de dire « à la seule force de conviction de ces architectes qui restent impliqués dans un processus de pensée prospective et qui trouveraient, dans un collectif consenti, suffisamment d’engagement pour convaincre les deux parties d’avancer.
Anne DEMIANS
Septembre 2017