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L’acte de résistance

03 | 02 | 2015

On constate que la construction des logements s’effrange dangereusement à l’endroit de la résistance de son rôle social ou de son low-standing. L’architecture domestique, envoyée au combat du « toujours moins cher » rivalise d’oppositions avec celle du « toujours plus cher » de projets publics, mal gérés et sur-dessinés.

Car, comment résister à l’effeuillage chronique de la construction et de la ville, constatée sans que personne ne réagisse vraiment ? Cet « effeuillage » (dont parle André ROSSINOT) est un signe flagrant de la déliquescence des attitudes responsables, au profit de l’affermissement du « tout rendement ». Faut-il le négliger ?

Le secteur public, on le sait, malgré toutes les incantations tactiques, n’a plus de moyens pour porter loin un développement immobilier dynamique et concerté. Ses compétences ont été transférées, sans frais, ni précautions, au secteur privé. Mais, s’il y a bien eu transfert opérationnel et financier, on n’y a constaté aucun portage culturel, ni aucune prescription encadrée. La loi du « rendement en toute bonne foi », devenant l’évangile du nouvel investisseur.

L’acte de résistance est celui qu’on accorde communément, au caricaturiste à l’artiste, à l’architecte. Pour les premiers, la démonstration d’une résistance active est faite. Les derniers, désemparés par la crise, ne se retrouveraient-ils pas complices, malgré eux, d’une exigence dégradée par ordonnance ? La fermeté et l’audace, seraient-elles devenues coupables ?

A ne pas en prendre la mesure, le risque de disparaitre pour l’architecte est grand.

Il s’agit, pour l’architecte, d’atteindre le noyau dur de la beauté et de l’efficacité, s’il veut rester indispensable à l’acte de construire et ne pas se déguiser en illustrateurs de programmes chiches.

Bien loin de moi, l’idée d’avancer que l’acte de résistance est chose aisée, naturelle et inscrite dans nos gènes. Mais, rien ne nous oblige à reculer devant la contrainte du « tout commercial, du tout médiatique». Je m’y suis inlassablement opposée, toujours laborieusement, parfois difficilement, mais jamais coupablement.

Faire acte de résistance, sur ce terrain n’est donc pas chose facile, tellement les habitudes, les réflexes et les certitudes sont présentes. Mais, proposer un code d’architecture universel pour faire front serait illusoire. « Il ne peut y avoir que des actes distinctifs, en réponses particulières à des cas spécifiques ».

Ce serait donc répondre par une succession de contre-pieds aux successions d’absurdités qu’on nous assène, à chaque projet, au prétexte que tout aurait déjà été testé et vérifié. « Rapports, audits et analyses commerciales en témoignant formellement, bien sûr ».

Cette histoire, dans laquelle se déclinent des architectures prioritairement domestiques, trouve son origine dans les opportunités que j’ai croisées, ces six dernières années. J’ai pu successivement atteindre des opérations de logements, de bureaux, de sièges d’entreprises ou d’équipements, parce que l’occasion m’en était donnée mais aussi parce que c’est sur ce terrain que la ville s’écrit. Et la ville, ses extensions, sa densité, ses mutations énergétiques, son esthétique et ses règles, m’intéressent.

Cette présentation des choses, vous l’aurez compris, vise à éradiquer, la question politique d’un style (marque, étiquette) qui encombre la dimension fondamentale de l’œuvre et limite sa portée. Il s’agit, bien sûr, d’atteindre le noyau dur de la beauté, en tendant vers l’efficacité et de rester essentiels à l’acte de construire, en ne nous déguisant pas en illustrateurs de programmes chiches. Des projets suivent. Ils sont, chacun, porteur d’un un acte de résistance, soit qu’on attendait tout autre chose, soit qu’ils aient affiché un refus à se standardiser ou à se limiter à l’urgence.

M9D4, « après que Jean Prouvé ait dit : ce n’est pas la forme qui fait la belle chose, mais sa contexture. »

Echapper aux enduits ne fut pas chose facile, mais l’énoncer comme préalable est faire acte de résistance. Déployer des centaines de mètres carrés de tôles d’aluminium, perforées ou embouties, légèrement dorées, en guise de façades, de persiennes ou de vêtures, ne fut pas de tout repos. L’entêtement devait conduire à la nature inédite de cette opération. Elle devint le socle de son succès commercial.

REZO, « quand la banalisation des surfaces ne conduit pas automatiquement à la banalisation de l’architecture ».

La construction d’immeubles de bureaux, sans attribution directe, conduit couramment à une écriture banale, capable de tout absorber. L’acte de résistance consista, ici, lui opposer un dessin nouveau, dont les vibrations s’accorderaient avec celles du paysage ferroviaire.

La flexibilité des espaces ne s’en trouvait, d’aucune manière, contrainte. Rien qui ne soit en trop ou inutile. Rien qui n’ait nui à la destination de l’ouvrage. Mais une architecture en plus.

NANCY, « quand des yeux ne se contentent plus de regarder par paires ».


A Nancy, on nous demanda de « l’exceptionnel ». Mais la dimension de l’exceptionnel, n’ayant pas la même signification pour tous, l’acte de résistance se situa sur la précision de sa définition.

Le projet devait marquer l’image d’une société de construction (Pertuy) par son architecture. Il répondait à ce qu’André Rossinot voulait : un immeuble d’une grande nouveauté, capable de créer un effet d’enchainement économique et esthétique sur le site et, par voie de conséquence, sur la ville.

Le bâtiment, fort par sa densité générale, est adouci de feuilles en acier inoxydable, satinées. Il est percé par des grandes ouvertures oblongues dont les fenêtres rondes sont comme des yeux ouverts, au-dessus desquels les paupières sont toutes relevées. capable de ramener les effets changeants du ciel sur la rue et par un dessin inédit d’ouvertures.

Influences annoncées d’un Takashi Murakami et répétées, à l’envi, comme un réflexe de Jean Prouvé.

VAL de FONTENAY, « quand les grandes banques se mettent à onduler »

L’acte de résistance consista, ici, à proposer, dès les premières esquisses (concours d’architecture), une idée en rupture totale avec les réponses archétypiques convenues. C’est une attitude, à l’évidence, plus risquée que celle qui consiste à glisser sa réponse dans le droit fil de celles qui sont labellisées.

La forme et le fond, assemblés dans un couple dynamique. La ville faisant l’ouvrage et l’ouvrage se faisant ville, une identification par influences respectives entre la forme (les ondulations linéaires) et la matière (bois composite), un marquage urbain, dense, précurseur d’un paysage d’un nouveau genre.

BLACKS SWANS, « quand on croit que tout est pareil et que ça ne l’est pas »

Cette opération mixte vise à rendre compatibles la préservation des espaces publics et les transformations du programme qui permettent d’adapter l’immeuble aux évolutions des cycles économiques. Ces évolutions ayant une portée directe sur l’assemblage des différents composants de la ville.

Aussi, et dans cette perspective, la question de la mutabilité des ouvrages installerait le bâtiment dans la durée et deviendrait le support à une nouvelle esthétique, acte de résistance aux styles cumulatifs et à l’obligation (très) actuelle de vouloir toujours répondre par la diversité.

Cette esthétique, loin de devoir être considérée comme spécifique à une seule programmation, dégagerait ses énoncés de l’opportunité de deux ou trois programmes « intervertissables » dans une même enveloppe, avec une trame structurelle commune.

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