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L'heure du métissage

17 | 01 | 2018

Territoire incertain à urbaniser dans une situation improbable. C’est décider de créer un paysage composite dans un territoire homogène, à condition de bien comprendre ce que doit être l’échelle de chacun. Avis aux amateurs.

Actuellement, la performance en architecture, est une machine à mettre de la forme sur tout ce qu’on vous propose sans jamais réinterroger le programme, mais pourvu qu’on produise des objets visibles, servant une communication qui n’a, a priori, plus rien à voir avec l’architecture. Ce que veut dire cette simple observation, c’est que le monde se déplace si rapidement et si brutalement dans l’embrouillamini que nous vivons que toutes les évolutions actuelles de la pensée (qu’elles soient mécaniques ou artificielles) ne sont pas assez puissantes pour influencer le milieu des architectes, complètement raccord avec l’abandon des valeurs essentielles qui fondent sa discipline. Il faut du temps et de l’engagement pour construire. Et rien n’est possible si le déroulé des événements s’arrête à de la production façonnée pour du court terme ou à des architectures mises en route sans que le mode d’emploi de leur mutation soit donné avec leur livraison.

« La bonne attitude en architecture est donc bien celle qui fait œuvre, avant même que l’œuvre soit achevée. Car, après, c’est trop tard. Elle est prématurément figée dans l’espace et contraint sa propre évolution. Et ça, ce n’est pas actuel. La bonne attitude avec la ville, c’est un peu pareil. Le mieux, c’est quand elle ne décide pas trop tôt à quoi elle veut ressembler à la fin ».

Les alertes qu’il faut actionner (deux alertes sont possibles)

Admettons que nous soyons à un moment important d’une histoire urbaine et territoriale perturbée par les bouleversements numériques et énergétiques qui nourrissent nos expériences en cours. Une réorientation des attitudes vers quelque chose de plus constructif semblerait nécessaire. Nous pourrions alors attester que l’inventaire citoyen que nous laissons derrière nous (considérer toutes ces années de surconsommation négligente de l’espace), nous aurait au moins servi à mieux savoir construire. Parallèlement, en attendant une transformation inévitablement radicale de la pensée ou un bouleversement dans les attitudes qui conduisent à la construction traditionnelle de l’espace, il semble bon qu’on s’intéresse à des solutions capables de remobiliser notre dicipline dans les voies du questionnement, de la réflexion, de l’expérimentation.

Les dispositions qu’il faut prendre (deux dispositions sont possibles)

Dans un cadre d’une ouverture franche, nous pourrions mettre à jour deux dispositions constructives qui transposeraient dans l’architecture tout ce qui s’exprime culturellement autour de nous. Nous avons bien conscience que nous traversons un système politique et social structurant et des digressions de plus en plus nombreuses provenant, toutes, sans aucun frein, des signaux de l’internet et de l’éclatement des codes de conduite. Aussi, pourrions-nous les traduire ainsi dans ce que nous bâtissons : ce seraient, soit des immeubles aboutis mais en même temps, aptes à embarquer d’autres programmations (l’embase), soit des immeubles s’exprimant librement sur leur contour (l’hybridation). Ces deux tendances sont devenues évidentes depuis que le courant minimaliste est entré en guerre contre la pensée du cumulatif baba et les agricultures urbaines privées de toute pensée et animation instinctives. Mais, s’agit-il pour autant de libérer la construction au point de ne plus contrôler le placement de l’ut sur la partition ? Bien sûr que non. Car, peut-être est-il seulement redevenu utile de re-profiler des projets d’architecture en commençant par le début et non pas par l’image d’une promesse qu’on ne saurait tenir. Considérons donc, pour étayer cette démarche, qu’il faille, tout de suite, dégager les expressions convenues, ces traductions évaporées de tranquillisants consensuels, pour espérer juste faire un peu mieux. L’architecture serait peut-être alors plus inspirée, plus solide et plus singulière. Ces architectures d’embase s’enrichiraient d’additions de ponctualités nuancées de nouveaux usages associés à de nouvelles esthétiques.

Elles formeraient de nouveaux paysages dans lesquels les transformations seraient regardées avec grande acuité, puis assemblées par des acteurs dont le rôle serait de vérifier leur place dans les différentes échelles d’une pertinence urbaine. On produirait certainement des morceaux de ville mieux éduqués, révélateurs d’une société en déplacement, mais placés en situation de « ne pas vieillir si vite ». Pour le moins, nous développerions des hypothèses mieux construites que ces bonnes et vieilles formules reconduites par des arrangeurs de villes. « tout serait alors plus inattendu et nous évoluerions en dehors des circonvolutions ténébreuses d’une époque que Michel Onfray qualifie de blanche et neutre, pendant que Michel Houellebecq la décrit, comme transie et soumise ».

Constater puis transposer

Imaginons maintenant que nous décidions de mettre à mal toutes ces figures simplificatrices que la communication (cette reine des raccourcis), nous livre en masse et que nous regardions du côté d’une société plus exigeante (mais indolente), plus mobile (mais confuse) ou plus alerte (mais dispersée). Nous constaterions qu’à ce moment-là, on parlerait plus d’hybridations fortuites, d’assemblages bâtards ou de coïncidences chamarrées, base d’une nouvelle esthétique. Imaginons ensuite que nous nous intéressions à des ouvrages-supports (des architectures- socles) pour mettre fin à des constructions trop abouties, seulement produites pour favoriser l’investissement dans la pierre ou la location libre. Les immeubles se présenteraient alors sous la forme de structures en situation d’attente, potentiellement capables de prolonger l’espace au-delà de ses propres limites verticales et horizontales. L’architecture des immeubles et le dessin des façades seraient engagés géométriquement dans un pas universel. Les embases ne subiraient aucun dégât d’ordre esthétique et tech- nique et l’équilibre foncier en sortirait même amélioré. On corrigerait la trajectoire du programme ou on s’étendrait in situ, en favorisant la sédentarisation de ceux qui voudraient rester sur place, se rendant mobiles par l’extension numérique, infiniment plus économe en bilan carbone. À l’évidence, ces mutations réclameraient des dispositions foncières particulières et immédiates. Les règles s’appliquant sur les gabarits et les alignements seraient à réécrire entière- ment. Et nombre de règlements deviendraient obsolètes. Mais, après tout, n’est-ce pas aux administrations de convaincre par leurs capacités d’anticipation ?

« Nous serions entrés alors, ouvertement et conscients, dans l’univers d’une hybridation d’un genre nouveau, voulue et préparée »

Assemblages hybrides

En 2003, Christian Lacroix, dans sa collection printemps-été, ose la cohabitation, avec une capote fin xixe, portée avec un court jupon en organdi, croisement des temps, des matières et des destinations. En s’attaquant au mélange des genres, le couturier poursuit dans la voie d’une créativité débridée. Parallèlement, Jean-Paul Gaultier récupère, découd, casse puis assemble. Il démontre que cette inventivité est en train de casser les édits au profit d’œuvres pleines d’à-propos. Désormais, associé à l’image de l’architecture, cet éclectisme d’assemblages maitrisés, ne se situe plus dans les différentes pièces d’une même collection de printemps ou d’une série de bâtiments, élevés sans grande unité de matières ou de formes. Il peut configurer la pièce, elle-même.


L’heure du métissage

Voici donc venu le temps des appellations semi contrôlées, des demi garanties, des certifications incertaines, des matériaux composites et des moteurs hybrides. Nous sommes à l’heure du métissage, du mélange des mots et des expressions, des langages et des genres. Le cinéma et la télévision nous apprennent à confondre réalité et fiction, les vrais mensonges et les fausses vérités. Chacun installant ses propres entassements. D’ailleurs, pourquoi se gênerait-on de laisser apparaître la traçabilité de ses emprunts ? Plutôt que de laisser se faire des réalisations imparfaites, il semble plus sûr et préférable de consolider l’idée de construire d’abord des architectures qui seraient des socles ou des embases capables de préparer leur propre suite et qui seraient les premières roches poreuses d’une œuvre qui trouverait sa finalité, non pas dans l’annonce de sa forme définitive mais à travers les signes en creux de sa propre descendance. En 2006, avec Consonances & dissonances, je disais qu’il était possible de revoir les bases d’une l’architecture utile, en la comparant avec ce qui se passait alors dans l’art, l’industrie, le design ou la haute couture. Il me semblait impossible alors de faire l’impasse sur le rôle que devait tenir l’architecte dans une société qui se modernisait à la vitesse ahurissante du développement de l’internet.

« Les réponses qu’il devait rendre devaient surtout éviter les travers d’une communication réglée sur la fulgurance de l’information plus que sur l’information elle-même ».

Consonances et dissonances

Consonner, c’est pactiser d’abord avec les différentes échelles de la ville et des ouvrages. L’embase est consonante. Elle est unitaire. Elle est solidement ancrée autour d’une ossature normalisée et finalisée. On dirait aujourd’hui qu’elle est capable et qu’elle doit, pour convaincre, affermir ses dispositions constructives par de la mutabilité et de la réversibilité. L’embase est une grille élevée à partir de structures répétitives qui restent entr’ouvertes à des additions ou à des adaptations plus ou moins importantes. Elle s’exprime avec un minimum de signes, dans un ouvrage sans complexité apparente et se rapproche de ce qu’on appelle une appellation contrôlée. Elle n’est que l’état provisoire d’une œuvre, une façon d’anticiper les mutations de l’ouvrage et ses extensions. C’est un quadrillage simple qui se forme sur une échelle provisoire, en attendant que se dessine l’espace définitif.

« Le principe étant de déterminer, le plus tard possible, la destination de l’ouvrage sans donner dans la banalisation de son architecture »

Pas tout à fait finis

Car l’idée est bien de laisser se propager des univers pas tout à fait finis, construits pour laisser se produire de nouvelles tonalités. On arrête les premiers temps d’une maquette grandeur qu’on vient compléter par des états successifs pris dans un monde réactif. On usine un cadre brut à compléter, en prenant soin, à chaque fois, de reconstituer une architecture coordonnée et déliée, avec autant de vues que nécessaires mais n’empêchant pas un résultat esthétique et technique parfaitement maitrisé. Entêtées, ces turbulences, occasionnelles, temporaires ou définitives, chargent le projet en sensations fortes et en ambiances imprévisibles. Elles sont différentes de celles qui ressortent de l’embase et reformatent ses destinations en en changeant l’architecture, sans trop forcer le trait.

« Plus concrètement, la méthode par support extensible est pensée en termes d’espaces immédiatement disponibles, présentant des mesures conservatoires adaptées et autori- sées pour permettre extensions, superpositions ou surélévations contrôlées »
Plus de malléabilité et d’imagination, moins de planification

C’est ainsi, qu’avec plus de malléabilité et moins de planification, nous pourrions reprendre la main sur la fabrication de la ville et sur ses composants, pour qu’elle respire surtout mieux. L’organisation de l’espace urbain se réaliserait à partir des masses construites mais aussi d’une densité autorisée qui s’étendrait au-delà des limites foncières d’origine, d’alignements ou de gabarits désavantageux. Les dilatations deviendraient maitres du jeu. La ville se reconstruirait sur elle-même, mais différemment. Elle deviendrait presque automatiquement expressive. Les codes de lecture changeraient, les références feraient peau neuve et l’esthétique de la cité se construirait sur l’interprétation, en live, des bouleversements socio-fonctionnels en cours et de toutes les technologies nouvelles et numériques économisant l’énergie.

«Tout effet de style est devenu vain et tout projet, remplissant correctement les cases, fâcheux et ennuyeux. Ils conduisent la ville à n’être visible que dans une figure finale et stratégique dont l’imagination ressort de celle qui se programme avec chiffres, tableaux et règlements, faisant fi de l’espace et du temps ».

Les architectes de l’hybride

La Renaissance avait fait de l’architecte un homme universel. Il était architecte, mais pas seulement. Il pouvait être en même temps architecte, philosophe, peintre, mathématicien, sculpteur, inventeur ou négociateur et ne se contentait pas d’exercer seulement dans l’art de construire. La période moderne, jouant sur l’efficacité absolue de l’individu, l’obligea à se spécialiser dans un art ou dans une discipline précise, lui ôtant toute initiative interdisciplinaire et réduisant son champ d’action à une seule matière. C’est ainsi que les architectes perdirent non seulement toutes attributions parallèles ou complémentaires, mais encore se retrouvèrent, à l’intérieur de leur propre discipline (et pendant tout leur exercice), enfermés dans un registre unique et précis. L’internet reconsidère le rôle de l’architecte et le projette dans un univers hybridé mais pas de la même manière qu’à la Renaissance. L’homme perd ses facultés à n’exercer que spécialisé, percuté par l’accès aux connaissances diverses portées par l’internet. Ses connais- sances sont celles qu’il moissonne sur un écran, quand bon lui semble et sans jamais s’encombrer d’informations qu’il sait trouver instantanément. Le net lui explique que l’addition des informations peut créer une information en elle-même, entière et synthétique, et que l’interdisciplinarité prônée dans le courant du vingtième siècle (pour pallier l’impasse de l’hyperspécialisation à l’américaine) se résout aujourd’hui plus par les réseaux sociaux et les banques de données numériques que par l’addition d‘individus spécialisés. C’est donc qu’on en vient bien à des architectures hybrides dont les paramètres différenciés sont donnés non plus par des hommes autour d’une table, mais par un individu qui synthétise un ensemble de données devenues plus facilement accessibles mais pas forcément approfondies.

« La différence entre une bonne et une moins bonne architecture relevant désormais de la capacité de l’architecte à faire un tri sévère dans un trop plein d’informations »

Anne Démians / janvier 2018

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